REVOLUTION INDUSTRIELLE, CLIMAT, LOBBIES ET HABITUDES
Besoin d’un récit
Dans le contexte très mouvant actuel, nous avons besoin d’un récit, d’une narration, d’une histoire, qui puisse rendre compte à la fois des mutations ultra rapides que nous vivons et du temps long de l’histoire. Nous privilégions le récit des révolutions industrielles et des chocs qu’elles provoquent. A la suite notamment des travaux au siècle dernier de l’économiste Joseph Schumpeter, nous définissons une révolution industrielle comme une période d’accélération de l’innovation et de la destruction créatrice, deux caractéristiques fondamentales du capitalisme, par l’apparition de grappes d’innovations radicales, notamment dans les domaines de l’énergie, de la communication et des transports.
Un mouvement séculaire
Les révolutions industrielles apparaissent curieusement, du fait des hasards de l’histoire, dans les années 70. A partir de 1770, débute la première révolution industrielle basée sur la machine à vapeur et le charbon. A partir de 1870, commence la deuxième révolution industrielle fondée notamment sur le moteur à explosion et le pétrole. A partir de 1970, apparait la troisième révolution industrielle fondée sur le numérique et, potentiellement, sur les énergies renouvelables.
La révolution industrielle est donc un mouvement séculaire ! C’est un récit qui rend compte à la fois d’innovations radicales et du temps long de l’histoire. C’est un mouvement d’une grande violence, qui s’installe ensuite dans la durée. Il se traduit par une transformation radicale des modes de production, de consommation et de vie.
Choc frontal avec la biosphère
Fondées sur l’utilisation systématique des énergies fossiles, les révolutions industrielles, y compris la troisième dans ses débuts actuels[1], émettent de très grandes quantités de gaz à effet de serre, tout particulièrement de carbone, qui dérèglent complètement le climat. Elles multiplient également les atteintes à la biodiversité et consomment de façon excessive les ressources naturelles.
Sur la question du climat, l’accord de Paris de décembre 2015 définit pour la première fois un cadre mondial de lutte contre le dérèglement climatique. Mais tout dépend du contenu futur des feuilles de route climat de chacun des pays signataires.
Une feuille de route climat ambitieuse
En juillet 2017, le gouvernement français a défini les grandes lignes de sa feuille de route climat qui va se décliner par des plans sectoriels et thématiques tout au long du quinquennat présidentiel. L’objectif est très ambitieux : atteindre la neutralité carbone dès 2050. C’est l’objectif de la Suède et des Pays-Bas. La Norvège espère l’atteindre dès 2030.
La taxe carbone va passer de 30 € la tonne en 2017 à 44 € en 2018 pour atteindre 86 € en 2022. Elle devrait dépasser les 100 € avant 2030.
Trois secteurs sont essentiels : l’immobilier, les transports et l’agriculture. Un enjeu essentiel est le parc immobilier dont la totalité devrait atteindre en 2050 les performances de la réglementation thermique actuelle des bâtiments neufs, qui est actuellement une des plus ambitieuses de la planète ! L’automobile devra être moins individuelle, plus occupée, plus électrique. Les fiscalités diesel et essence seront harmonisées d’ici 2021 et il ne devrait plus y avoir de voitures à essence et à diesel à partir de 2040. L’alimentation devrait connaître une forte évolution, avec moins de viande et de lait et plus de produits locaux.
L’objectif est la mise en place d’une économie circulaire. L’économie actuelle est linéaire : on extrait, on fabrique, on consomme, on jette. Elle se traduit par un fort gaspillage des ressources et une grande production de déchets. L’économie circulaire supprime la notion même de déchet qui devient une matière première pour l’industrie. L’ensemble de la production est recyclé.
Résistance des lobbies
Une telle feuille de route climat suscite de fortes résistances des lobbies de la deuxième révolution industrielle mais également de ceux de la troisième.
Le lobby fossile est touché de plein fouet. Dans le même temps, il s’oppose au processus et investit dans les énergies renouvelables. Il joue la montre sur la longueur de la transition, en s’appuyant sur le gaz.
Le lobby nucléaire a un argument de poids : l’électricité qu’il produit est décarbonée. Mais les risques en matière de sécurité sont élevés, et surtout le prix du kWh nucléaire est devenu plus élevé que celui des énergies renouvelables.
Le lobby automobile fait de la résistance. Il abandonne progressivement le diesel, investit dans le véhicule électrique et joue la montre sur la longueur de la transition avec la voiture à essence.
Le lobby du transport aérien agit surtout pour échapper à la taxe carbone, car l’avion solaire n’est pas pour demain.
Le lobby agricole va résister longtemps car le remplacement du modèle productiviste par des modèles écologiques est une véritable révolution économique, technique et culturelle.
Le lobby numérique n’est pas dans la logique de la feuille de route : il consomme énormément d’énergie et le smartphone, fabriqué dans le cadre d’une très forte division internationale du travail et conçu pour être non réparable et rapidement obsolète, est un contre modèle pour l’économie circulaire.
Poids des habitudes
Au-delà de l’action logique des lobbies, la feuille de route trace une transformation profonde des modes de vie de la population dans tous les domaines : alimentation, habitat, transports, consommation, travail, loisirs. Ce changement sera complexe et difficile car le poids des habitudes est important.
Mais le mouvement a déjà commencé
Ce mouvement est particulièrement actif au niveau local, dans des régions, des agglomérations et des campagnes. Le moteur de l’action est dans les territoires.
Concluons sur deux exemples très contrastés. La ville de Paris s’est fixée comme objectif la neutralité carbone en 2050 et a commencé à infléchir, en suscitant des débats souvent très animés, les modes de vie des habitants[2].
En Alsace, le village de 2 000 habitants d’Ungersheim a mis en place un plan ambitieux de 21 actions pour le 21eme siècle autour de trois idées intéressantes : autonomie intellectuelle, indépendance énergétique, souveraineté alimentaire[3].
Le mouvement est en cours, avec le jeu des pouvoirs et des contre-pouvoirs, les tâtonnements, les erreurs, les premiers résultats.
[1] L’Agence Internationale de l’Energie indique qu’en 2014, les énergies fossiles représentent 81% du mix mondial de l’énergie primaire.
[2] Pour écouter la chronique radio sur carbone et évolution des modes de vie parisiens, cliquez ici.
[3] Pour écouter la chronique radio sur l’intéressant cas d’Ungersheim, cliquez là.