Editorial Septembre 2014

TRANSITION ENERGETIQUE ET TROISIEME REVOLUTION INDUSTRIELLE EN FRANCE

Le conseil des ministres a adopté le 30 juillet 2014 le projet de loi relatif à « la transition énergétique pour la croissance verte »[1]. Le texte sera discuté et amendé, puis voté par le Parlement en 2015.

C’est un projet qui va dans le bon sens.

Les objectifs sont ambitieux :

– baisser la part du nucléaire dans la production d’électricité à 50 % d’ici 2025, contre 75 % en 2012,
– réduire de 40 % les émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030, en vue d’une baisse de 75 % d’ici 2050, comparé aux émissions de 1990,
– diminuer de 50 % la consommation d’énergie finale d’ici 2050, comparé à la consommation de 2012,
– réduire la consommation d’énergie finale des énergies fossiles de 30 % d’ici 2030, comparé à 2012,
– porter la part des énergies renouvelables à 23 % de la consommation d’énergie en 2020, puis 32 % en 2030, contre 14 % en 2012,
– réduire de 50 % les déchets admis en installation de stockage en 2025, comparé à 2010, valoriser 70 % des déchets du bâtiment et des travaux publics en 2020.

La première partie du projet de loi concerne la priorité aux économies d’énergie dans le bâtiment, les transports et le développement de l’économie circulaire.

Pour le bâtiment, la principale innovation est l’obligation d’améliorer significativement la performance énergétique à chaque fois que des travaux importants sont réalisés (ravalement, réfection de toiture, aménagement de combles…). Les ménages ne font jamais de travaux d’économie d’énergie seuls, l’idée « d’embarquer » des travaux d’économies d’énergie à l’occasion de travaux ordinaires est excellente.

Les transports peu consommateurs d’énergie et peu émetteurs de CO2 sont favorisés : véhicules propres, infrastructures pour véhicules électriques et hybrides rechargeables, développement de biocarburants avancés, covoiturage, transports des entreprises de la grande distribution, interdiction de circulation en cas de mauvaise qualité de l’air…

L’économie circulaire est promue pour innover dans la conception des produits, en intégrant en amont la prolongation de leur durée de vie et en favorisant le recyclage et les complémentarités entre entreprises, qui font des déchets des unes la matière première des autres.

La seconde partie du projet vise à diversifier le mix énergétique en favorisant fortement les énergies renouvelables (biomasse, solaire, éolien…) et leur bonne articulation avec les réseaux électriques existants. Pour le nucléaire, la sécurité et l’information des citoyens sont renforcées.

La troisième partie porte sur la gouvernance du dispositif. Le principe d’action est sain : « tourner le dos à une conception verticale de l’élaboration des politiques publiques confisquée par quelques experts et décideurs, faire le choix de la transparence et d’une co-construction des orientations à mettre en œuvre »[2].

Le mix énergétique est mis en place dans le cadre d’une programmation pluriannuelle de l’énergie. La capacité de production nucléaire est plafonnée à son niveau actuel (63,2 GW). Le commissaire du gouvernement auprès d’EDF peut s’opposer à une décision d’investissement incompatible avec la programmation pluriannuelle de l’énergie.

La dimension territoriale est essentielle : les régions sont les chefs de file de l’efficacité énergétique. Elles mettent en œuvre des plans climat-air-énergie territoriaux et promeuvent des plateformes territoriales de rénovation énergétique des bâtiments.

Le projet ouvre un droit à l’expérimentation de boucles locales de production et de consommation d’énergie et de réseaux intelligents sur un territoire.

Certains ont critiqué ce projet de loi, en particulier parce qu’il fait un compromis avec le lobby nucléaire. La France a le lobby nucléaire le plus puissant du monde (et de loin). Il est difficile d’éviter de faire un compromis avec un tel lobby !

L’important est la mise en marche d’un mouvement qui va dans le bon sens. Mais il faut utiliser un langage de vérité sur le mouvement en cours. L’exposé des motifs laisse entendre que le projet favorise un nouveau développement sans contradictions (il « vise à engager le pays tout entier dans la voie d’une croissance verte créatrice de richesses, d’emplois durables et de progrès[3] ») et indique que le projet s’inscrit dans un mouvement « annonciateur d’une possible 3ème révolution industrielle[4] ».

Non, ce développement ne sera pas sans contradictions et la 3ème révolution industrielle a déjà commencé.

L’économiste Joseph Schumpeter a su analyser le capitalisme comme un « ouragan perpétuel » dont le moteur, l’innovation, s’accélère parfois pour mettre en œuvre des révolutions industrielles. La première révolution, fondée sur la vapeur, a débuté à la fin du XVIIIème siècle et s’est déroulée durant une grande partie du XIXème. La seconde, fondée sur le pétrole et l’électricité, a commencé à la fin du XIXème siècle et s’est développée durant le XXème[5].

La troisième révolution industrielle en cours, amorcée à la fin du XXème siècle, est fondée sur des grappes d’innovations radicales articulant les nouvelles technologies de l’information, l’énergie et l’environnement. Elle sera mise en œuvre tout au long du XXIème siècle[6].

Pour comprendre ces moments de profonde mutation, Schumpeter propose le concept de « destruction créatrice », destruction d’un monde ancien, création d’un monde nouveau.

La mise en œuvre de la future loi sur « la transition énergétique pour la croissance verte » sera fondée sur un mécanisme de destruction créatrice.

Un mouvement de destruction et de création de valeurs immobilières est en cours, car la valeur des immeubles va de plus en plus dépendre de leur performance énergétique et environnementale[7].

La réalité est la même pour l’emploi. Une étude a simulé un scénario de transition énergétique en France d’ici 2030[8]. Ce scénario envisage 1 046 000 destructions d’emplois (dans la construction neuve de bâtiment, le transport routier, les énergies non renouvelables, le transport aérien) et prévoit 1 676 000 créations d’emplois (dans la rénovation des bâtiments, les énergies renouvelables, les transports en commun et surtout des emplois induits dans l’ensemble des branches par la ré-allocation des sommes économisées).

L’enjeu est un projet de mobilisation des territoires, des professionnels et des citoyens, qui devra savoir gérer la décote de certains immeubles, la valorisation d’autres immeubles, et aussi les destructions d’emplois inéluctables et les créations d’emplois nouveaux. Le projet devra assumer une transformation profonde des compétences et une inflexion significative des modes de vie, plus sobres en énergie, mais sans doute en tendance plus agréables à vivre que ceux d’aujourd’hui.

Face à cet enjeu considérable et passionnant, la France ne peut pas agir seule. La transition énergétique ne pourra pas se faire dans un cadre étroitement national, comme le proposent certains auteurs[9]. Elle ne sera possible que dans un cadre européen.

Mieux, la transition énergétique constitue une opportunité de stratégie de sortie de crise pour l’Europe[10], au moment de son dialogue avec les autres continents, lors de la Conférence internationale de Paris sur le climat, en décembre 2015.

 

[1] [1] Voir exposé des motifs et projet de loi adopté par le conseil des ministres le 30 juillet 2014.
[2] Exposé des motifs du projet de loi, page 9.
[3] op cit, page 1.
[4] op cit, page 4.
[5] J. Schumpeter. Théorie de l’évolution économique (1911), Dalloz, Paris, 1935, mis en ligne par l’Université du Québec à Chicoutimi 
[6] J. Carassus. Immobilier et bâtiment : valeur, développement durable et 3ème révolution industrielle. Réflexions immobilières IEIF n°66, 4ème trimestre 2013.
[7] Voir l’impact important du niveau du Diagnostic de Performance Energétique (DPE) sur le prix des maisons individuelles dans des marchés du logement non tendus en France dans Valeur verte des logements d’après les bases notariales, Notaires de France, Dinamic, 2013.
[8] P. Quirion. L’effet net sur l’emploi de la transition énergétique en France : une analyse input-output du scénario négaWatt, CIRED, Nogent sur Marne, 2013.
[9] P. Murer. La transition énergétique, Editions Mille et une nuits, Paris, 2014.
[10] M. Aglietta, T. Brand, Un New Deal pour l’Europe, Odile Jacob, Paris, 2013, voir en particulier dans le chapitre conclusif, Le développement durable : nouvelle frontière de la croissance pour l’Europe. Les auteurs, économistes spécialistes de la monnaie et de la finance, font un lien explicite entre sortie de la crise financière et transition énergétique.