Nous avons reçu récemment le courriel suivant :
“Cher Monsieur,
J’ai lu avec attention votre « Guest Column » dans « Property Investor Europe» de Juillet 2010, intitulée “Obsolescence issues mean green real estate no longer an extra cost, but extra value”.
Autant je suis un fervent défenseur de l’approche durable de l’immobilier (la société que je dirige prend activement par aux discussions du GRI sur le supplément immobilier), participe en Allemagne au DGNB (l’équivalent français de HQE), et travaille avec d’autres sur la problématique au travers de l’International Sustainability Alliance, autant il me semble important de revenir sur ce qu’il me semble représente un certain nombre de contre vérités qui malheureusement sont poussées de plus en plus par des personnalités académiques.
1- Les fameux 40%.
Le chiffre avancé par l’UNEP, et repris en cœur par les défenseurs de l’immobilier vert. Il ne s’agit pas pour moi de contredire la nature de ce chiffre (je n’ai à ce jour pas trouvé un quelconque fondement à ce chiffres, mais je veux bien vivre avec), mais juste de souligner le dangereux amalgame qui est fait du fait de l’utilisation de ce chiffre. Vous sous-entendez en utilisant ce chiffre, qu’il est potentiellement possible de diminuer la consommation énergétique et les émissions de gaz à effet de serre significativement simplement en travaillant sur les immeubles. Or il est évident (du moins je l’espère) que si les immeubles contribuent si fortement à la consommation énergétique c’est du fait qu’environ 40% (je vous l’accorde le chiffre est aussi flou que le précédent) de l’activité économique à lieu dans des immeubles. L’impact en termes d’énergie et de gaz à effet de serre dans le cadre de l’utilisation d’un immeuble et tout autant lié à sa conception qu’à la manière dont il est utilisé par la suite.
Compte tenu du fait que la propriété des immeubles et extrêmement disparate, que le stock effectivement détenu par des acteurs institutionnels (susceptible d’agir rapidement) est relativement faible, et par ailleurs le niveau de rajeunissement du stock est extrêmement long (contrairement par exemple au stock automobile) il est dangereux de prétendre qu’on peut effectivement agir sur les problématiques climatiques avec des outils tels que l’immobilier durable. Avec le niveau d’investissement actuel il n’y a pas plus de 1 à 2% du stock d’immeuble commerciaux qui est renouvelé en Europe chaque année. Autant dire que s’il faut compter sur ca pour sauver la planète… Stigmatiser l’industrie immobilière ne sert pas vos desseins.
2- Les « immeubles verts » créent de la valeur.
Vous vous appuyez pour faire des affirmations fortes (vous parlez dans l’article de PFE de « firm conclusions ») sur l’étude largement répandue de Mrs Piet Eichholtz. Cette étude ne prouve en réalité pas grand-chose, si ce n’est qu’un immeuble neuf vaut plus qu’un immeuble ancien (en terme de valeur locative, et en terme de valeur capitalistique, pour plus de détails http://alstria.blogspot.com/2010/03/ceteris-paribus.html#more). En l’occurrence cette étude conclue d’ailleurs d’elle-même en page 16 « The results suggest that the LEED rating has no statistically significant effect upon commercial rents » ce qui ne va pas vraiment vous en conviendrez dans le sens de votre article.
La principale problématique de ces études comme des nombreuses que vous publiez sur votre blog est qu’elles partent d’une conclusion (un immeuble vert crée de la valeur) qu’elles essaient ensuite de démontrer avec des données statistiques. La réalité est cependant diamétralement opposée (et je ne fais pas de sémantique). Un immeuble vert ne crée pas de valeur, mais l’introduction des problématiques durable dans l’immobilier à accélérer l’obsolescence du stock existant, et par conséquent réduit la valeur des immeubles « non verts ». Il est urgent, et notamment au niveau académique d’arrêter de parler de « Green Premium », mais de se focaliser sur la réalité ou comme disent nos amis anglo-saxon du « brown discount ».
Le danger est de continuer à essayer de convaincre les acteurs du marché de quelque chose alors que toute leur expérience pratique montre que cela ne correspond pas à la réalité. A l’exception de quelques immeubles servant de vitrine à certaines sociétés (le nouveau siège de Siemens à Munich par exemple), il n’y a pas, pour les personnes qui sont actives dans le marché au jour le jour, de preuves tangibles de retour sur investissement supérieur dans le cadre d’un immeuble vert. Il serait par contre beaucoup plus facile d’attirer l’attention sur les retours sur investissement inferieurs à ceux attendus dans le cas d’immeubles non vert.
Le résultat de l’approche que vous suivez, est que pour une majeure partie des acteurs de l’immobilier commercial en Europe, la notion d’immobilier durable est purement marketing. Il est plus facile de lever des fonds en faisant du « vert », notamment auprès d’investisseurs individuels. Par conséquent, peu de personnes ont tendance à regarder au delà du certificat en lui-même qui devient une fin en soi (il faut être certifié, mais personne ne sait plus vraiment pourquoi). Or (ces deux analyses sont d’ailleurs absente de votre blog), il est maintenant largement prouve que le certificat en lui-même n’es garant de rien du tout (cf. Etude du USCGB, et la contre analyse MIS-LEED-ING). Il est des immeubles LEED platinium qui consomme plus d’électricité que le moins bien conçu des immeubles des années 70. La majorité des systèmes de certification environnementale existants s’appuient sur des études théoriques qui sont loin de refléter la réalité pratique de l’utilisation des bâtiments. Par ailleurs, aucun des référentiels que je connais ne remet strictement en cause les décisions de conception quelque fois ubuesques. Je reste toujours perplexe à la vue des immeubles tout en verre certifiés durables… sous prétexte que la double (et quelquefois triple) couche de verre est plus efficace qu’une épaisseur simple.
3- La notion d’immobilier durable se résume à l’approche énergétique
Il y a comme une forte propension reprise souvent dans les medias (le webcast de Property Investor Europe sur le sujet est parlant) à faire un amalgame entre un immeuble durable est un immeuble efficace énergétiquement, Votre blog illustre bien mon propos. Bien que « immobilier durable » vous n’abordez que les problématiques énergétiques. La notion de « durable » est à mon sens bien plus large que la simple problématique énergétique. Houston, ou Dubai pour ne citer que ces deux villes sont plein d’immeubles certifiés « sustainable » qui sont vides. A mon sens, l’immeuble le plus durable que l’on puisse imaginer est celui que l’on n’a pas eu besoin de construire.
A ce jour, aucune des approches de certification des immeubles ne prend en considération ce qui est à mon sens la question primaire. Est-il nécessaire ou non de construire cet immeuble ? Pas plus qu’elles ne prennent en compte la viabilité économique d’un projet sur le long terme, ou une approche globale de la problématique (i.e. est-il préférable de construire un nouveau bâtiment pour l’utilisateur ou vaut-il mieux redévelopper un immeuble existant?). On ne peut pas reprocher aux promoteurs de ne pas considérer ces points qui relèvent plus de la planification urbaine que de l’approche individuelle. Un exemple frappant est celui de la ville de Frankfort qui malgré un des taux de vacance les plus hauts d’Europe, a délivré 800,000 m² de droits à construire (soit environ un an de demande locative). Au sein même de Frankfort la nouvelle tour de la BCE relève typiquement de l’immeuble certifie HQE, qui n’aurait jamais du être construit (pour plus de détails : http://alstria.blogspot.com/2009/10/two-fridge-syndrome.html)
Ultimement je reste persuadé que nous défendons les mêmes valeurs et servons les mêmes objectifs. Je suis en contact journalier avec mes équipes, mes locataires, des promoteurs, et différents acteurs de l’immobilier commercial (en l’occurrence en Allemagne). Les personnes préoccupées par les problématiques durables sont en règle générale peu nombreuses. Pour beaucoup tout ceci n’est qu’une affaire de marketing, dans la mesure où sur le terrain, la réalité est bien loin des promesses faites. Pour arriver à convaincre le plus grand nombre de la nécessité d’une approche durable il est à mes yeux primordial de refléter la réalité des choses : L’immobilier durable ne sera bientôt plus une option, mais une nécessité. Il n’y a aucune plus value à en attendre, mais il y a un risque majeur à l’ignorer.
Olivier Elamine, CEO, Alstria Office REIT, www.alstria.com,
Nous avons fait la réponse suivante:
« Cher Monsieur,
Je vous remercie pour votre appréciation sur l’article publié dans « Property Investor Europe » de Juillet 2010. Elle permet un dialogue fructueux sur le thème stratégique de l’immobilier durable. Je reprends les trois parties de votre argumentation.
1 – Les fameux 40%.
J’indique dans l’article qu’en Europe, l’immobilier représente 40 % de l’énergie consommée et 36 % des gaz à effet de serre émis. Ces chiffres proviennent de la Direction Générale pour l’Energie et les Transports de la Commission Européenne et plus précisément de l’exposé fait par Michaela Holl, « EU Energy Policies for Buildings » (1ère planche de la page 2), lors d’un séminaire organisé à Bruxelles le 14 Octobre 2009, par le Task Group n°66 Energy and the Built Environment du Conseil International du Bâtiment dont je suis le coordinateur.
Je note que ces chiffres sont également valables pour les Etats-Unis si j’en crois l’intervention « U.S. Policies and Concepts Supporting Improved Energy Efficiency in Buildings » faite par Shyam Sunder (National Institute of Standards and Technology – NIST – du Ministère du Commerce) lors du même séminaire (1ère planche de la page 4). Mais comme vous l’indiquez, là n’est pas l’essentiel.
Vous pensez ensuite que je sous entends qu’il est possible de baisser consommation d’énergie et émissions de gaz à effet de serre simplement en travaillant sur les immeubles, et ainsi en négligeant la manière dont ils sont utilisés par la suite. Je suis d’accord avec vous sur le fait que la performance dépend non seulement des caractéristiques des immeubles mais aussi de la façon dont ils sont gérés et utilisés. En partenariat avec plusieurs professionnels de l’immobilier, je l’affirme clairement dans l’article récent « Evaluer et garantir la valeur verte immobilière ».
Vous indiquez enfin que nous n’avancerons pas vite avec une construction neuve qui ne représente chaque année que 1 à 2 % du stock. Je suis d’accord avec vous. L’enjeu essentiel est la rénovation ambitieuse du stock existant.
2 – Les immeubles verts créent de la valeur.
Vous indiquez que l’étude de Piet Eichholtz, Nils Kok et John M. Quingley se contente de démontrer qu’un immeuble neuf vaut plus qu’un immeuble ancien. C’est inexact, de même pour les deux autres analyses que je cite, celle de Franck Fuerst et Patrick McAllister et celle de Norm Miller, Jay Spivey et Andy Florance. Il est intéressant de noter que ces trois recherches utilisent la même base de données immobilières (CoStar), concluent dans le même sens (un immeuble de bureaux Energy Star® et LEED® a tendance à avoir un loyer, un taux d’occupation et un prix de revente plus élevés) mais divergent sur les chiffres.
Pourquoi ? Parce que chaque équipe construit un modèle mathématique dit de « prix hédoniques » qui tente, avec plus ou moins de succès, de comparer les immeubles certifiés avec des immeubles non certifiés de caractéristiques comparables (âge de l’immeuble, localisation, taille, marché local…).
Je suis d’accord avec vous sur le fait que la valeur verte s’exprimera plus par le risque (important) de dévalorisation des immeubles non verts que par la survaleur des immeubles verts. Vous avez raison de suggérer au monde de la recherche de s’intéresser de plus près aux mécanismes de décote des immeubles non verts. Reconnaissez toutefois qu’il s’agit du même phénomène de valorisation-dévalorisation des patrimoines immobiliers.
Ensuite je vous rejoins quand vous affirmez que de nombreux professionnels investissent dans des immeubles « verts » pour des raisons « marketing », personne « ne sachant vraiment pourquoi ».
Je suis également d’accord sur le fait que les certifications d’immeubles ne garantissent pas les performances de la gestion et de l’utilisation. J’ai mis sur mon blog plusieurs études qui le montrent, comme celle de O. Catarina et S. Illouz sur HQE®, celle de G.R. Newsham, S. Mancini et B. Birt sur LEED® ou celle de J.M. Zgraggen et alii sur Minergie®.
Je note d’ailleurs que les certificateurs en ont pris conscience puisqu’ils ont créé les certifications « HQE® Exploitation », « BREEAM® in Use » et « LEED® for Existing Building Operation & Maintenance » qui portent sur l’exploitation et l’usage.
3 – La notion d’immobilier durable se résume à l’approche énergétique.
Là vous signalez un vrai danger. Même si je parle plutôt de qualité énergie-environnement-santé des immeubles et que j’indique qu’il faut maintenant aussi intégrer dans l’analyse le transport des utilisateurs des immeubles, il faut veiller à bien affirmer la dimension socio-économique de l’immobilier durable.
Les questions que vous posez sont les questions stratégiques : Est-il nécessaire ou non de construire cet immeuble ? Quelle est la viabilité économique du projet à long terme ? Faut-il construire un nouvel immeuble ou réhabiliter un immeuble existant ? Comme vous, je connais des immeubles HQE® qui n’auraient jamais du être construits, en particulier à l’endroit où ils l’ont été.
Comme vous le dites, ultimement nous défendons les mêmes valeurs et servons les mêmes objectifs. A nous d’agir, vous en tant que professionnel, moi en tant que consultant et enseignant, pour convaincre les acteurs du marché que, comme vous l’indiquez, « l’immobilier durable ne sera bientôt plus une option, mais une nécessité » ».
Jean Carassus, consultant, professeur Ecole des Ponts ParisTech, www.immobilierdurable.eu