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LA CATASTROPHE EST PROBABLE, CROYONS EN L’IMPROBABLE

«  Le vaisseau spatial Terre est propulsé par quatre moteurs incontrôlés : la science, la technique, l’économie, le profit, chacun d’eux étant alimenté par une soif insatiable : la soif de connaissance (science), la soif de puissance (technique), la soif de possession, la soif de richesses ». Par cette phrase, issue de son dernier livre[1], Edgar Morin nous incite à réfléchir où ces moteurs insatiables amènent notre petite planète.  Pour lui, la réponse est claire : « vers l’abîme[2] » est l’issue la plus probable.

Car à côté du meilleur que peuvent engendrer science, technique, économie et profit, ces quatre moteurs peuvent aussi produire le pire, sur une planète où s’interpénètrent, selon Edgar Morin, pas moins de sept crises simultanées : économique, écologique, démographique, urbaine, rurale, politique et sociétale[3].

En nous limitant à la question des ressources planétaires, nous savons qu’il n’y a pas de raison d’empêcher les Chinois, les Indiens et les Brésiliens de connaître un mode de vie comparable à celui des Américains, des Européens et des Japonais. Mais nous savons que, pour satisfaire ces appétits légitimes, le vaisseau Terre n’y suffira pas. Il faudrait de 4 à 5 vaisseaux Terre pour y parvenir. La difficulté est que nous n’en avons qu’un.

La catastrophe est donc probable. Mais nous dit Edgar Morin, il faut croire en l’improbable, car l’improbable est possible. Et il nous rappelle : souvenez-vous, en 1941, Hitler, à la tête d’une des plus sanglantes dictatures que l’humanité ait jamais produite, domine l’Europe, et avec son allié militariste Japonais, bientôt le monde. La catastrophe est probable. C’est convaincus de cette idée, que Stefan Zweig et sa jeune femme se suicident le 22 février 1942. Mais l’improbable se produit : l’invincible Wehrmacht est bloquée par l’hiver et le peuple russes. Le tournant de la guerre est amorcé.

Mais, Grand Dieu, quel est le rapport entre toute cette histoire  et l’immobilier durable ?

Par le plus grand des hasards, l’immobilier est dans les pays développés le problème n°1 de trois enjeux géo stratégiques planétaires, qui, s’ils ne sont pas maîtrisés, mènent le vaisseau Terre à la catastrophe : le dérèglement et réchauffement climatique, la sécurité de l’approvisionnement énergétique et la limitation des ressources naturelles.

En effet, dans les pays développés, l’immobilier représente approximativement plus de 40 % de l’énergie consommée, près de 40 % du CO2 émis et 40 % des déchets. Et je ne compte pas l’énergie nécessaire et le CO2 émis, d’une part lors de la construction, la réhabilitation et la démolition des immeubles, d’autre part lors du transport des utilisateurs, en particulier lorsque l’immeuble n’est pas construit près d’une station de transport en commun.

La soif de l’immobilier, en consommation d’énergie, en émissions de CO2, en production de déchets, en utilisation de terrains, est insatiable. Cela est vrai bien sûr à notre échelle en France, mais songez à la Chine qui construit chaque année 2 milliards de m² d’immeubles, soit, tous les douze mois, plus de la moitié du stock immobilier existant français !

Les professionnels de l’immobilier et de la construction, en France et ailleurs dans le monde, souvent sans le savoir, ont une énorme responsabilité pour l’avenir du vaisseau Terre.

Pour que le vaisseau Terre reste vivable, il faut, entre autre, diminuer les émissions de gaz à effet de serre d’environ 50 % sur la planète entre 1990 et 2050. Nous ne pouvons pas demander le même effort que le nôtre aux Chinois, aux Indiens et aux Brésiliens, dont une partie importante de la population vit dans la misère et qui, contrairement à nous, ont produit peu de gaz à effet de serre pendant deux siècles. L’effort des pays développés (Europe, Amérique du Nord, Japon…) devra être une baisse des émissions de l’ordre de 80 %.

Pour atteindre cet objectif, il faudrait faire en sorte que tout l’immobilier neuf soit d’ici neuf ans à énergie positive, comme le demande la Directive européenne sur la performance énergétique des bâtiments n° 2010/31/UE du 19 mai 2010.

Plus ambitieux encore, il faudrait que les émissions de CO2 produites par le parc immobilier diminuent, entre 1990 et 2050, d’environ 90 %, comme le demande le projet de Communication sur « La feuille de route pour une économie bas carbone en 2050 », publiée le 9 février 2011 par Connie Hedegaard, Commissaire Européenne à l’Action Climatique.

Tout cela est hautement improbable !

Croyons en l’improbable. Car l’improbable est possible.

jean.carassus@immobilierdurable.eu




[1] « La Voie, Pour l’avenir de l’humanité ». Edgar Morin. Fayard. 2011. Page 28.

[2] Qui est le titre d’un de ses précédents ouvrages. « Vers l’abîme ? ». Edgar Morin. L’Herne. 2007.

[3] « La Voie », op cit page 21.